Thèses sur le parlementarisme présentées par la fraction communiste abstentionniste du parti socialiste italien

(II ème Congrès de l'Internationale Communiste, 1920)

 

(Publié en français dans la brochure «La question parlementaire dans l'Internationale communiste», du 25 février 1967 et dans «le prolétaire», N° 239, mars 1977)

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Introduction du «prolétaire» N° 239

 

Contre tous ceux qui prétendaient passer au socia­lisme par le développement de la démocratie parlemen­taire, contre les centristes à la Kautsky qui voulaient combiner la «voie démocratique» et la voie révolution­naire, L’Internationale communiste déclarait à son Deuxième Congrès (1920), dans ses Thèses sur le Parti Communiste et le parlementarisme: «Le communisme se refuse donc à voir dans le parlementarisme une des formes de la société future; il se refuse à y voir la forme de la dictature de classe du prolétariat ; il nie la possibilité de la conquête durable des Parlements ; il se donne pour but l’abolition du parlementarisme. Il ne peut dès lors être question de l’utilisation des institutions gouvernementales bourgeoises qu’en vue de leur destruction: c’est dans ce sens, et uniquement dans ce sens que la question peut être posée» (point 6).

L’affirmation de principe de l’antiparlementarisme communiste, sur laquelle convergent totalement les bol­cheviks et la Gauche communiste d’Italie, véritable résultat de toute l’analyse et l’expérience du mouvement communiste, est également à la base des Thèses présen­tées au même congrès par la Fraction Abstentionniste qui devait former quelques mois plus tard le noyau dirigeant du Parti Communiste d’Italie: notre courant en tirait seulement, à partir d’une connaissance plus précise des conditions de la lutte révolutionnaire dans les pays de l’aire euro-américaine et d’un bilan des forces qui s’y affrontent, des conclusions tactiques diffé­rentes pour ces pays. Ces Thèses de la Gauche que nous présentons ici comme la meilleure défense générale de l’abstentionnisme communiste précisent au point 3 qu’il faudra également détruire et remplacer par des soviets locaux de députés ouvriers les institutions municipales et communales de la bourgeoisie, ces institutions que les centristes d’aujourd’hui comme ceux d’hier préten­dent marier avec des comités de base, des sortes de soviets sans révolution auxquels les mairies pourraient servir de point d’appui «dans une opposition résolue au pouvoir central» (programme des listes municipales LCR-LO-OCT), comme si ces mairies n’étaient pas, et de plus en plus, entièrement soumises au contrôle de l’Etat central!

Les Thèses de la Fraction détaillent ensuite les éléments d’appréciation historique qui nous amenaient à demander que l’Internationale renonce désormais, dans les pays de démocratie bien installée, même à l’utilisation des parlements et des élections municipales et communales comme un point d’appui accessoire de son action.

Le demi-siècle écoulé n’a fait que confirmer et renforcer tous nos éléments d’appréciation: non seulement la bourgeoisie a perfectionné son art d’utiliser les élections en permanence comme un «moyen de défense indirecte» (Thèses de l’Internationale) pour détourner les prolétaires de la lutte, mais la sélection de véritables partis communistes, authentiquement révolutionnaires, s’est révélée globalement impossible en Occident, et la religion démocratique a été une arme plus puissante encore et insidieuse aux mains des renégats opportunistes qui l’ont substituée à la perspective révolutionnaire; même les tentatives d’opposition au stalinisme, en dehors de notre courant, le seul solidement ancré sur les principes du communisme (dictature et destruc­tion violente de l’Etat bourgeois), en ont été infectées et paralysées.

C’est pourquoi si, en 1920, on pouvait encore discuter la possibilité d’une utilisation révolutionnaire du parlement - sans que cela puisse conférer aux bolchéviks une tare d’opportunisme -, l’histoire a aujourd’hui tranché la question en confirmant a posteriori le bilan déjà tiré à l’époque par notre courant: .il est devenu impensable d’utiliser, dans les zones de capitalisme avancé, les élections comme un moyen de combattre les illusions parlementaires. On comprend qu’en revanche, à la différence des anarchistes et des indifférentistes qui nient l’importance, et même l’existence de toute lutte non purement prolétarienne, nous soutenions toujours, comme le faisait le point 6 des Thèses de notre fraction (et ceci ne suffisait-il pas à infirmer toute accusation d’infantilisme?) que dans les pays où le cycle révolu­tionnaire bourgeois n’est pas encore épuisé, l’interven­tion des communistes dans les organes représentatifs bourgeois ne soit pas exclue par principe, tout en conser­vant toujours le même contenu: dénonciation des illu­sions parlementaires, de la prétention à faire disparaî­tre les antagonismes de classe par la magie du bulletin de vote. Mais même dans ces zones, la participation aux élections n’a rien d’automatique, comme le préci­saient encore les Thèses de l’JC (point 17), alléguant les exemples russes du boycott de la Douma et du prépar­lement de Kerenski: elle est à apprécier en fonction de la situation et des intérêts du prolétariat mondial.

Bien plus. On peut dire que les révolutions démocra­tiques d’aujourd’hui s’emparent beaucoup moins qu’au siècle dernier des institutions représentatives comme d’un drapeau, et qu’il importe d’insister davantage sur leurs tâches économiques et sur la conquête des droits civils (égalité juridique, suppression des vieilles règles de droit, etc.) et des droits politiques au sens strict (presse, réunion, association, etc.). C’est que les condi­tions mondiales du capitalisme d’aujourd’hui laissent peu de place à des institutions représentatives bourgeoi­ses qui ne soient pas purement décoratives, et ceci doit nous conduire le plus souvent à être abstentionnistes, sinon en théorie, du moins en pratique dans de telles aires. D’autre part, même à supposer que des organis­mes de ce type puissent avoir une existence momen­tanée, la tâche du parti serait de mettre l’accent sur la nécessité que les prolétaires et les semi-prolétaires et paysans pauvres créent en dehors d’eux des organes pro­pres d’autodéfense, afin de servir de contre-poids à un mécanisme destiné à ne servir que pour la galerie, et pas même susceptible d’être utilisé comme une «tri­bune» dans le sens où l’entendait Lénine.

Quant à la farce électorale qui se joue aujourd’hui en France, dans un des pays les plus infestés d’une tradi­tion démocratique paralysante, dont les renégats stali­niens font leur grand titre de gloire, nous appelons les prolétaires à lui tourner le dos et à se battre sur leur propre terrain, celui de la lutte ouverte contre le capi­talisme.

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Thèses sur le parlementarisme

 

 

1. Le Parlement est la forme de représentation politique propre au régime capitaliste. La critique de principe que font ont les communistes marxistes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise en général démontre que le droit de vote ne peut empêcher que tout l’appareil gouvernemental de l’Etat ne constitue le comité de défense des intérêts de la classe capitaliste dominante. En outre, bien que ce droit soit accordé à tous les citoyens de toutes les classes sociales dans les élections aux organes représentatifs de l’Etat, ce dernier ne s’en organise pas moins en instrument historique de la lutte bourgeoise contre la révolution prolétarienne.

 

2. Les communistes nient carrément que la classe ouvrière puisse conquérir le pouvoir en obtenant la majorité parlementaire. Seule la lutte révolutionnaire armée lui permettra d’atteindre ses objectifs. La conquête du pouvoir par le prolétariat, point de départ de l’oeuvre de construction économique communiste, implique la suppression violente et immédiate des organes démocratiques qui seront remplacés par les organes du pouvoir prolétarien: les Conseils ouvriers. La classe des exploiteurs étant ainsi privée de tout droit politique, le système de gouvernement et de représentation de classe, la dictature du prolétariat, pourra se réaliser. La suppression du parlementarisme est donc un but historique du mouvement communiste. Nous disons plus: la première forme de la société bourgeoise qui doit être renversée, avant la propriété capitaliste et avant la machine bureaucratique et gouvernementale elle-même, c’est précisément la démocratie représentative.

 

3. Ceci vaut également pour les institutions municipales et communales de la bourgeoisie qu’il est faux au point de vue théorique d’opposer aux organes de gouvernement, leur appareil étant en fait identique au mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie. Le prolétariat révolutionnaire doit également les détruire et les remplacer par les Soviets locaux de députes ouvriers.

 

4. Alors que l’appareil exécutif militaire et politique de l’Etat bourgeois organise l’action directe contre la révolution prolétarienne, la démocratie constitue un moyen de défense indirecte en répandant dans les masses l’illusion qu’elles peuvent réaliser leur émancipation par un processus pacifique et que l’Etat prolétarien peut lui aussi prendre la forme parlementaire, avec droit de représentation pour la minorité bourgeoise. Le résultat de cette influence démocratique sur les masses prolétariennes a été la corruption du mouvement socialiste de la Deuxième Internationale dans le domaine de la théorie comme dans celui de l’action.

 

5. Actuellement, la tâche des communistes dans leur oeuvre de préparation idéologique et matérielle de la révolution est avant tout de libérer le prolétariat de ces illusions et de ces préjugés répandus dans ses rangs avec la complicité des vieux leaders social - démocrates qui le détournent de sa voie historique. Dans les pays où le régime démocratique existe déjà depuis longtemps et s’est profondément ancré dans les habitudes des masses et dans leur mentalité tout comme dans celle des partis social-démocrates traditionnels, cette tâche revêt une importance particulière et vient au premier rang des problèmes de la préparation révolutionnaire.

 

6. Dans la période où la conquête du pouvoir ne se présentait pas comme une possibilité proche pour le mouvement international du prolétariat et où ne se posait pas non plus le problème de sa préparation directe à la dictature, la participation aux élections et l’activité parlementaire pouvait encore offrir des possibilités de propagande, d’agitation, de critique. D’autre part, dans les pays où la révolution bourgeoise est encore en cours et crée des institutions nouvelles, l’intervention des communistes dans les organes représentatifs en formation peut offrir la possibilité d’influer sur le développement des événements pour que la révolution aille jusqu’à la victoire du prolétariat.

 

7. Dans la période historique actuelle (ouverte par la fin de la guerre mondiale avec ses conséquences sur l’organisation sociale bourgeoise; par la révolution russe, première réalisation de la conquête du pouvoir par le prolétariat, et par la constitution de la nouvelle Internationale en opposition au social-démocratisme des traîtres) et dans les pays où le régime démocratique a depuis longtemps achevé sa formation, il n’existe plus, au contraire, aucune possibilité d’utiliser la tribune parlementaire pour l’oeuvre révolutionnaire des communistes, et la clarté de la propagande non moins que la préparation efficace de la lutte finale pour la dictature exigent que les communistes mènent une agitation pour le boycottage des élections par les ouvriers.

 

8. Dans ces conditions historiques, le problème central étant devenu la conquête révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat, toute l’activité politique du parti de classe doit être consacrée à ce but direct. Il est nécessaire de briser le mensonge bourgeois qui veut que tout heurt entre les partis politiques adverses, toute lutte pour le pouvoir se déroule dans le cadre du mécanisme démocratique, à travers les élections et les débats parlementaires. On ne pourra y parvenir sans rompre avec la méthode traditionnelle qui consiste à appeler les ouvriers à voter - côte à côte avec les membres de la classe adverse -, sans mettre fin au spectacle de délégués du prolétariat travaillant sur le même terrain parlementaire que ses exploiteurs.

 

9. La dangereuse conception qui réduit toute action politique à des luttes électorales et à l’activité parlementaire n’a été que trop répandue par la pratique ultraparlementaire des partis socialistes traditionnels. D’autre part, le dégoût du prolétariat pour cette pratique de trahison a préparé un terrain favorable aux erreurs des syndicalistes et des anarchistes qui dénient toute valeur à l’action politique et aux fonctions du parti. C’est pourquoi les partis communistes n’obtiendront jamais un large succès dans la propagande pour la méthode révolutionnaire marxiste s’ils n’appuient pas leur travail direct pour la dictature du prolétariat et pour les Conseils ouvriers sur l’abandon de tout contact avec l’engrenage de la démocratie bourgeoise.

 

10. La très grande importance attribuée en pratique à la campagne électorale et à ses résultats, le fait que pour une période fort longue le parti lui consacre toutes ses forces et toutes ses ressources (hommes, presse, moyens économiques) concourt, d’un côté, malgré tous les discours publics et toutes les déclarations théoriques, à renforcer la sensation que c’est bien là l’action centrale pour les buts communistes et, de l’autre, provoque l’abandon presque complet du travail d’organisation et de préparation révolutionnaire, donnant à l’organisation du parti un caractère technique tout à fait contraire aux exigences du travail révolutionnaire légal ou illégal.

 

11. Pour les partis qui, par décision de la majorité, sont passés à la IIIe Internationale, le fait de continuer l’action électorale interdit la sélection nécessaire; or, sans l’élimination des éléments social-démocrates, la IIIe Internationale manquera à sa tâche historique et ne sera pas l’armée disciplinée et homogène de la révolution mondiale.

 

12. La nature même des débats au parlement et autres organes démocratiques exclut toute possibilité de passer à la critique de la politique des partis adverses, à une propagande contre le principe même du parlementarisme, à une action qui dépasse les limites du règlement parlementaire. De la même manière il est impossible d’obtenir le mandat qui donne le droit à la parole si l’on refuse de se soumettre à toutes les formalités établies par la procédure électorale. Le succès de l’escrime parlementaire ne sera que fonction de l’habileté à manoeuvrer l’arme commune des principes sur lesquels se fonde l’institution elle-même et des astuces du règlement; de même, le succès de la campagne électorale se jugera toujours et uniquement sur le nombre de voix ou de mandats obtenus. Tous les efforts des partis communistes pour donner un caractère tout à fait différent à la pratique du parlementarisme ne pourront pas ne pas conduire à l’échec les énergies dépensées dans ce travail de Sisyphe. La cause de la révolution communiste exige instamment qu’elles se dépensent au contraire sur le terrain de l’attaque directe du régime de l’exploitation capitaliste.

 

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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